Ce matin-là, un matin ordinaire de prime abord, comme il s’en passe des centaines, où je prends bien le temps de me préparer comme habituellement, faisant en sorte de toujours avoir une tenue impeccable, un maquillage léger, ou du moins pour cacher les imperfections, une coiffure qui tient la route, enfin vous voyez, histoire d’être présentable quoi… Eh bien, ce matin-là, une minuscule goutte de café renversée sur la table a eu raison des dix précieuses minutes que je passe dans ma salle de bains juste avant de quitter la maison.
Pour éviter d’être en retard, il me parait judicieux d’emporter ma brosse à cheveux et mon mascara, j’aurais peut-être le temps de m’en servir à un feu rouge… Je sors précipitamment de la maison, sans mes clefs. Je retourne à l’intérieur, bien sûr, elles ne sont pas là où je les ai laissées. Ça commence bien ! Je cours d’une pièce à l’autre à la recherche dudit trousseau, tiens, je pourrai l’appeler, des fois qu’il me réponde ! Puis je me souviens de ma soirée jogging de la veille, et trouve enfin mes clés dans la poche de mon survêtement. Ouf ! Sauf que maintenant, je suis légèrement en retard. Espérant rattraper ce temps perdu, je me précipite dehors et là, en plus de ce brouillard qui m’enveloppe, une chose qui m’avait paru étrange avant, mais que je n’avais pas réalisé me saute au visage : la neige ! Oh, juste une fine couche qui recouvre les toits, les prés, la barrière du jardin et, bien sûr, le pare-brise de ma voiture dépassant du couvert ! Misère ! Je sors mon grattoir et entreprends le dégivrage, moteur allumé. Heureusement, les vitres latérales ont été épargnées ! Oui, mais à présent, je suis vraiment en retard. Je démarre en trombe, sors du chemin de ma maison en dérapant et m’engage sur la route. J’augmente le volume de la radio pour m’emplir les oreilles de la musique et tenter de penser à autre chose que les minutes qui défilent. Mais la neige qui recommence à tomber décide de prolonger mon retard. Les gros flocons se collent sur ma vitre, faisant valser les essuie-glaces, tandis que les roues glissent sur la route. Je ralentis avec une légère appréhension. Oui, vous avez deviné : je n’aime pas rouler sur la neige, ça glisse, les phares m’éblouissent, la buée se forme sur ma vitre malgré la ventil’ à fond ! Je n’aime pas ces mauvaises conditions, la neige, c’est joli en montagne (et encore), mais pas en plaine ; il faut la déblayer, faire attention de ne pas glisser, gratter les vitres… en fait, je déteste la neige, le froid, l’hiver ! !
Soudain, j’entends un grand bruit. Merde ! qu’est-ce que c’est ? J’ai chouté quelqu’un ? Je n’ai pourtant rien vu… bon faut dire qu’on n’y voit rien, il fait sombre, les flocons tombent dans tous les sens, je ne sais plus où je suis sur la route… Comme ma voiture fait un drôle de bruit, je serre à droite et m’arrête. Qu’est-ce qu’il se passe ? J’ouvre la portière et je descends, une bise carabinée me saisit et me coupe la respiration. Brrrr, et j’ai oublié mon bonnet. Une camionnette me dépasse en m’aspergeant de neige mouillée, je peste. C’est là que je réalise qu’il me manque mon gilet. Où il est, celui-là ! Je fouille partout, dans les portières, sous le siège, dans la boîte à gants et le trouve enfin. J’enfile ce tissu jaune qui me fait une allure épouvantable, avec mes cheveux décoiffés, c’est vraiment du plus bel effet ! Bon, passons. En faisant le tour de mon véhicule, que vois-je ? Un pneu crevé ! Il ne manquait plus que ça ! Si au moins il faisait jour, si je ne devais pas arriver à l’heure à ce rendez-vous… Je n’ai même pas le temps de regarder sur YouTube comment changer une roue ! En plus, un matin de décembre au bord d’une route par -5 degrés : on oublie ! Heureusement, il existe le TCS ! Un simple appel et de longues minutes à attendre au froid, mais mieux ça que de tenter de changer la roue moi-même. Je dégaine mon portable, et là, c’est le pompon ! La cerise sur le gâteau de la poisse ! Pire ! Plus de batterie ! S’ensuit milles scénarios plus improbables les uns que les autres ; me rendre à pied à la gare la plus proche, à savoir 3,46 km… ; sonner à la porte de cette vieille ferme, en haut de ce talus abrupt, imaginez, un glaçon, avec les cheveux hirsutes « bonjour, je suis en panne, je peux téléphoner ? Oui, j’ai un portable, non il n’est pas chargé, j’ai pas eu le temps de le brancher cette nuit, j’avais autre chose à faire ! J’ai un pneu crevé et non, je ne sais pas changer une roue alors j’aimerais juste appeler le TCS ! » Vous imaginez la honte ? Si seulement je pouvais me réveiller en sursaut dans mon lit…
Bref, je ronchonne, rouspète contre tout et n’importe quoi. Pourquoi j’ai jamais appris à changer une roue ! Pourquoi j’ai pas pris le train ? Pourquoi je ne suis pas un mec !
Après bien des énervements, Je me résigne à ouvrir mon coffre pour en extraire la lourde roue de secours ainsi que le cric. Et maintenant ? La neige redouble, recouvrant la route, le toit de ma voiture, les vitres, mon visage : JE HAIS LA NEIGE !!
Un véhicule ralentit, me fait signe puis se gare devant moi. Est-ce mon jour de chance ? … Je crains le pire. La portière s’ouvre, laissant apparaître un homme élégant. Il enfile un chapeau et le fameux gilet, qui étrangement, sur lui ne fait pas épouvantail et rajoute même une jolie touche de couleur à son costume, dissimulé sous son manteau, sombre également. Après la peur du pervers passée, je doute qu’un homme d’affaires en costard va perdre son temps à changer une roue d’une pauvre fille décoiffée, trempée et gelée ! Il s’approche de moi.
- Bonjour, vous avez besoin d’aide ?
Comme aucun son ne sort de ma bouche, le type se rapproche encore, en dégageant un je-ne-sais-quoi de mystérieux sous son chapeau, je sens son after-shave envahir mon espace intime, son regard clair se pose sur moi, il me sourit. Je fonds sur place ; mes joues brûlantes passent par toutes les palettes de couleurs et je bégaie :
- Je… mon pneu est crevé, ce… n’est pas le top avec cette neige…
- Je vois ça, bon, je vais vous aider.
Il prend le cric et, sous mes yeux ébahis, commence à changer la roue, en moins de dix minutes, c’est fait. Je le remercie, tout en me demandant si je dois lui donner de l’argent… Lui proposer au moins, ou lui demander son nom, son numéro, non, ça ne se fait pas… Ou faire quelque chose quoi. Mais déjà il s’avance vers son véhicule et dit :
- Je dois y aller, on m’attend, soyez prudente madame !
Et il me décroche l’un de ses plus beaux sourires. J’en ai la tête qui tourne, c’est tout juste si je peux articuler un « merci ». Tandis que je le regarde s’éloigner, je me remets au volant… Le cœur battant la chamade, les mains moites, je ne vois plus que ses yeux clairs et pétillants… Mon véhicule patine en démarrant et manque de glisser vers le talus… Je contrebraque en accélérant doucement pour me remettre sur la route. Plus qu’à continuer mon chemin jusqu’à l’arrivée… en espérant que rien d’autre ne m’arrive. Facile à dire.
Je crois à un miracle quand enfin je me parque sur une place visiteur, légèrement soulagée, mais horriblement en retard. Je sors précipitamment et manque de m’étaler sur une plaque de glace. Je m’accroche à ma portière et mène une drôle de danse de Saint Guy pour éviter la chute.
En espérant que personne ne m’a vue, je me précipite dans le grand bâtiment abritant la célèbre entreprise de bijoux de luxe. En pénétrant dans le hall, je me sens bien minuscule. Dans ma précipitation, je me rends compte que j’ai oublié d’enlever mon gilet. J’accélère le pas et cours me réfugier aux toilettes pour me rendre un tant soit peu présentable. Tant pis, j’aurais encore plus de retard… j’ai même pas été foutue d’appeler pour m’excuser de mon contretemps, c’est pourtant pas une blague.
Enfin, j’arrive devant la réception et m’annonce en rougissant…
- Désolée… j’ai un peu de retard…
- En effet, le directeur vous attend depuis un moment… Suivez-moi.
La réceptionniste m’emmène le long d’un couloir jusqu’à une porte entrouverte et annonce mon arrivée au directeur.
- Entrez, répond une voix.
J’entre d’un pas décidé, encore essoufflée et tends la main :
- Bonjour, je…
La, en levant les yeux, je m’arrête net, incapable de prononcer un mot de plus : j’ai en face de moi mon aimable dépanneur dans son costume sombre, son chapeau posé sur une table, le manteau accroché au portemanteau. Cette fois, c’est la fin, la honte totale, je rougis et sens la chaleur monter à mon visage, avec une subite envie de disparaître trois mètres sous terre. Il me regarde de ses yeux clairs, dissimulant un petit sourire et déclare :
- Eh bien, je ne m’attendais pas à vous revoir si vite ! Asseyez-vous.
Après quelques minutes de réflexion, et un regard agacé à sa montre, il poursuit :
- Bon, plus le temps pour les formalités, alors, vous êtes prête à entamer cette première journée de travail ? Sachez que tous mes employés, afin d’être de bons représentants, commencent leur formation par changer une roue…
Au café (2024)
Bien installée sur la terrasse du café l’Oasis, à l’ombre du platane, (ou de l’érable, je ne sais jamais ce que c’est), je regarde l’écran de mon portable en attendant mon amie. Pour dire vrai, je vérifie si elle ne m’a pas envoyé un message pour annuler. Après, je regarde mon agenda, pour vérifier que c’est bien aujourd’hui qu’on devait se voir, c’est toujours ma hantise, de me tromper de jour. Ou d’endroit. Ça ne m’est jamais arrivé, mais ça m’obsède… comme si se retrouver seule à une table pour boire un café était un crime… bien sûr, on peut bien boire un verre en solo, mais je sais pas, j’ai toujours peur de me retrouver seule et que tout le monde me regarde… Perdue dans mes pensées, je ne remarque pas le jeune homme s’approcher de moi et me dévisager en articulant un « vous désirez ? ».
Je sursaute légèrement et, faisant mine de rien, je prends une inspiration pour lui rétorquer qu’il se mêle de ce qui le regarde ou qu’il me dise si je le dérange quand mon regard tombe sur ses grands yeux bleus profond. Et là, aucun son sort de ma bouche, juste un grossier « Heu…. »
Il me dévisage, légèrement agacé et repose sa question, et là, je réalise que c’est le serveur. Je deviens rouge comme une tomate, le cœur battant la chamade, en bégayant et baissant le regard je balbutie « un café, s’il vous plait ». Il me décroche tout de même un sourire à faire fondre n’importe quelle femme (je m’emporte, je m’emporte…) et s’en va préparer ma commande. Ouahou, même s’il a dû me trouver dinde, il a fait ma journée ! Je dois dire que je suis tellement obnubilée par l’idée de trouver un mec, oui, l’amour, avec un grand A, que je m’emporte dès qu’un garçon m’adresse la parole. J’essaie par tous les moyens de faire en sorte qu’il me remarque, puis me parle, et quand c’est le cas, je suis paralysée. Je ne sais plus quoi dire, plus quoi faire, je rougis, bégaye... Là, c’est typique, tout ça, pour commander un café. Mais faut dire que vous ne l’avez pas vu, le mec. Grand, musclé (oui, oui, ses biceps ressortent de son t-shirt moulant), des cheveux blonds légèrement ondulés et ses yeux… si bleus. Bref, ma copine arrive enfin. Je me ressaisis avant qu’elle me demande pourquoi je bave…Toujours élégante, vêtue d’un simple pantalon ample et un top blanc.
Elle sourit en prenant place à mes côtés :
- Tu as déjà commandé ? devant mon air ahuri elle comprend. Ah, tu as déjà fait la connaissance de James à ce que je vois…
- Ça se voit tant que ça ? je suis rouge ?
- Si tu te voyais !!
Elle pouffa devant mon air béta en me voyant me regarder dans mon écran de téléphone.
- Tu le connais ?
- Oui, mais… tu n’es pas au bout de tes surprises….
- Quoi, il va faire un strip-tease devant nous ?
- Chuuut, il arrive !
Je me retourne et l’observe de la tête aux pieds. Il sourit toujours, lui ai-je vraiment tapé dans l’œil ou il se moque de moi ? je n’en sais rien. Il dépose ma tasse devant moi et regarde Valérie en lui apportant aussi un café. Apparemment il a l’air de bien la connaitre.
Puis soudain un aimant m’attire à ma gauche, je ne peux m’empêcher d’entrouvrir la bouche.
- Regarde Val, à gauche….
Elle pivote et m’adresse un regard complice. Un charmant jeune homme, encore plus sexy que James vient s’asseoir à la table à coté de nous. Je dois ressembler au loup de Tex Avery, avec les yeux qui sortent de leur orbite et la bouche ouverte. Pendant que je me ressaisis, cherchant une idée comment l’aborder, je ne peux m’empêcher de regarder James s’approcher du nouvel arrivant pour prendre sa commande. Mais à ma grande surprise, il s’assied à côté du client qui lui souriait depuis son arrivée et … il l’embrasse. Oui, oui, sur la bouche et pas qu’un peu !
Je me retourne alors vers Valérie qui ne retient plus son rire et je lui lance :
- Tu le savais ?
- Oui… c’est ce que je voulais te dire avant que tu ne t’emballes…
Je lâche un soupir de dépit ; je crois que je vais me commander une vodka ! Pourquoi tous les beaux mecs sont gays ? A ce moment-là, je regrette de ne pas être un homme !
La page blanche (2023)
Jean-Jacques, n’en était pas à son premier roman. Auteur sérieux, connu et reconnu, il avait publié plusieurs ouvrages et les avait présentés dans beaucoup de salons ou manifestations ayant trait à la littérature.
Chaque année il avait à cœur de publier un nouveau roman pour ses fans. De plus, son éditeur attendait une ébauche d’ici la fin du mois afin de la diffuser dans la revue des futures parutions. Ainsi, c’est avec précipitation qu’il se rendit ce matin dans son bureau ; coupa son téléphone, ferma la porte et alluma son ordinateur afin d’écrire une nouvelle aventure. Il trépignait devant son PC qui démarrait, trop lentement à son gout, puis le programme s’ouvrit enfin, affichant une nouvelle page. Jean-Jacques posa ses doigts sur le clavier et puis là, soudain, la panne. Pas d’idée… rien. Ce n’était pas son habitude pourtant, sans doute la pression du délai à tenir. Il réfléchit encore, son regard errant dans le vide mais non, pas le moindre scénario à l’horizon.
Alors il se tourna vers sa bibliothèque bien garnie, prit un livre au hasard, l’ouvrit et commença à lire le premier paragraphe. De temps à autre, ses yeux se levèrent pour réfléchir, furent distraits par les bibelots alignés sur l’étagère, puis se replongèrent dans la lecture. Insatisfait, il saisit un autre roman, piqua des paragraphes çà et là, se remémorant les passages qui lui avaient plu et ceux qui l’avaient moins embarqué. Oui, dans cette histoire, il aurait bien changé ce passage. Plutôt qu’un homme, l’assassin pourrait être une femme, ou une adolescente, la fille du maire ! Ah, et puis, non. Il reposa le livre sur son bureau avec les dix autres, attrapa une bande dessinée, qui sait, les images allaient peut-être lui donner sa fameuse intrigue.
Au bout de deux heures, toujours à court d’idée, et sa bibliothèque à moitié vidée, Jean-Jacques décida d’aller boire un café au bar en bas de la rue. Il écoutera les conversations des clients, interrogera la sommelière, lui demandera de raconter ses projets, sa réaction en recevant sa dernière facture d’électricité ou le rêve qu’elle a fait cette nuit, n’importe quoi, pourvu que ça lui donne assez d’inspiration.
Il dévala les escaliers de son immeuble à toute vitesse, tout en enfilant son éternel blazer indigo. Il eut juste à traverser la rue pour se retrouver installé à une table en terrasse. Son carnet posé devant lui, prêt à recueillir toutes les bribes de conversation qu’il allait entendre. Enfin, il esquissa un sourire : une femme venait de s’asseoir à côté de lui, l’air anxieuse. Elle regarda sa montre. Peut-être un rancard ? Le premier ? ou un entretien d’embauche… il sortit son stylo Waterman, reçu il y a dix ans en cadeau de ses collègues, posa la mine sur le papier blanc, mais resta bloqué. Le logo de la compagnie d’assurance en haut de sa feuille le narguait et l’empêchait d’écrire quoi que ce soit. Son café arriva. Il remercia la sommelière qui tourna les talons avant qu’il n’ait eu le temps d’engager la conversation. Puis deux dames s’installèrent derrière lui. Elles parlaient pour toute la terrasse qui eut droit à la recette du gigot aux pruneaux, suivie de la purée de patates douces. Puis les caractéristiques du tout nouveau lave-linge révolutionnaire, mais ensuite, il fallait quand même sécher le linge et le repasser… rien de bien extraordinaire. Ce n’était pas avec ce genre de cancans qu’il produira un roman intéressant.
Enfin quelqu’un rejoignit la jeune femme de la table d’à côté, un homme élégant et nettement plus âgé qu’elle. Un amant ? ça devenait intéressant…. Il tendit l’oreille.
- Salut papa, comment ça va ?
- Très bien ma chérie, alors, cette surprise pour l’anniversaire de maman ?
L’écrivain bougonna en avalant son café d’une traite. Il déposa la monnaie sur la table et, avant de partir, saisit le journal et le feuilleta, parcouru les faits divers ; tout était trop ordinaire à son goût. Puis il tomba sur une annonce étrange :
« Vous qui êtes en panne d’idée, j’ai la solution, contactez-moi » suivi d’un numéro. Drôle d’annonce, se dit-il, en panne d’idée, dans quel registre ? C’était trop beau pour être vrai ! ça ressemblait à ces annonces de voyantes qui lisaient l’avenir, promettant monts et merveilles. Il réfléchit, contemplant les taches qu’avaient laissé le café dans sa tasse vide, pesant le pour et le contre. Après tout, il était tellement désœuvré qu’il décida de tenter le coup. Il sortit son téléphone et composa le numéro, le cœur battant. Une sonnerie, deux, puis trois. A la quatrième, quelqu’un décrocha. Une petite voix lui demanda quel était son souci et Jean-Jacques expliqua. Elle le questionna alors pour savoir à quand remontait la panne, ce qu’il avait déjà mis en place pour y remédier, puis lui proposa son aide en lui fixant rendez-vous dans trois jours à une adresse précise. Il devait venir seul, avec la somme de CH 100.00.
Il raccrocha, sceptique. A peine une aide et il devait déjà débourser de l’argent. Il irait voir, il pouvait toujours refuser et partir sans payer et sans écouter les conseils de la personne.
Le jour en question, Jean-Jacques se rendit au lieu de rencontre et arriva devant un immeuble en rénovation, le no 30. Il poussa la porte et vérifia son portable : numéro 30, quatrième étage, pas d’ascenseur. La montée des marches le conduisit devant une porte toute bleue. Il sonna, attendit dix secondes, puis vingt, appuya plus longuement sur la sonnette, toujours pas de réponse. Irrité, il s’apprêta à faire demi-tour lorsque le bruit de la clé dans la serrure se fit entendre. Une femme plutôt âgée apparu, ses cheveux tirés en chignon lui donnaient un air strict. Sans doute à la retraite depuis peu, elle devait chercher à se faire un peu d’argent pour arrondir ses fins de mois.
- C’est pour quoi ?
- Heu… bonjour, je viens pour l’annonce…
- Pour les rencontres c’est l’étage au-dessus !
- Non, je crois qu’on s’est mal compris, je viens pour la panne, vous savez… je suis écrivain.
- Ah ! Oui, bien sûr, désolée, entrez !
Elle le fit asseoir dans un vieux fauteuil qui trônait au milieu de la pièce. Tout était sombre, les rideaux tirés, avec des tapis au sol et contre les murs, ce qui assombrissait davantage la pièce. Mal à l’aise, il commença à transpirer et frotta ses mains moites sur ses cuisses. La retraitée revint peu après, munie d’un calepin rempli de notes et s’assit en face de lui. Chaussant ses lunettes, elle lui demanda de détailler son problème.
- Eh bien, je suis écrivain et… en fait, je dois écrire un nouveau roman mais… à chaque fois que je m’installe devant ma page, mes idées s’en vont. Ou plutôt elles ne viennent pas… enfin, j’ai un blanc quoi, je ne sais pas quoi écrire !
- Je vois, je vois, la page blanche... elle se frotta le visage et observa l’écrivain tout en semblant réfléchir. Ce qu’il vous faut, lui dit-elle, c’est une plume et un encrier. C’est indispensable pour écrire un livre !
Il la regarda sévèrement, ne sachant si elle se fichait de lui ou pas. Une plume, comme si ça allait l’aider à trouver l’inspiration !
Il quitta les lieux, perplexe, ne répondant rien à son « A bientôt », comme si elle s’imaginait qu’il allait revenir ! Une belle arnaque, oui !
Il erra une bonne partie de l’après-midi dans la ville, visita plusieurs librairies, se rendit dans divers lieux publics animés, retenta sans succès un tour au café et puis, à 17h, à bout de nerfs, se résigna à se rendre dans la papeterie la plus proche pour son achat : il fallait bien tout essayer.
Arrivé chez lui, il déballa la plume, s’installa à son bureau et trempa l’objet dans l’encrier avec satisfaction. Puis il la posa sur la feuille de papier, mais toujours rien. La tache s’agrandissait mais aucun début d’histoire ne se profilait à l’horizon.
Quelque peu en colère, il retourna chez l’étrange dame qui demanda à voir la plume. Non, ce n’était pas la plume adéquate, il lui fallait une véritable plume de faisan doré !
Mais où allait-il trouver cet objet saugrenu ? Pour commencer, il ne savait pas à quoi ça ressemblait lui, un faisan doré. Il n’allait pas se rendre dans un zoo pour arracher une plume à ce brave volatile !
Au bout de quelques semaines, sa page blanche comportait uniquement des taches, celle de son ordinateur était toujours désespérément vide, contrairement à sa boite mail qui s’emplissait des rappels de son éditeur…
Hors de lui, Jean-Jacques se rendit à nouveau chez son informatrice, et s’exclama :
- J’ai fait tout ce que vous m’avez demandé : d’abord acheté une plume, un encrier, pris un abonnement à la bibliothèque, puis épluché des dizaines de revues et des encyclopédies, et rien, toujours rien ! J’ai remué ciel et terre pour trouver ce que vous m’avez demandé. Je suis allé dans plusieurs parcs, jusqu’au fin fond de la Suisse, j’ai même escaladé une volière pour dénicher LA plume parfaite de faisan doré ! Vous vous rendez compte ! D’ailleurs, en grimpant je suis tombé et croyait m’être brisé la jambe. Le gardien est arrivé, ameuté par le cri des oiseaux, il voulait appeler la police, j’ai dû prétexter qu’un animal était coincé, et… il s’arrêta au beau milieu de sa phrase.